Les beaux jours de la rue de la Main-d'Or
J'ignore quelle sorte d'énergumène est le lecteur français d'aujourd'hui, et comment (...) il peut juger un écrivain hongrois tel que Gyula Krudy... Lire la suite
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J'ignore quelle sorte d'énergumène est le lecteur français
d'aujourd'hui, et comment (...) il peut juger un écrivain hongrois tel
que Gyula Krudy. Parmi les mille romans qui paraissent chaque année en
France, le livre d'un auteur hongrois fait figure d'une goutte d'eau
dans la mer. Même si cette goutte est en réalité un océan. Quand il
entend le nom de Krudy, le lecteur hongrois ressent une drôle
d'impression, comme si on évoquait devant lui un vieux prince
mystérieux, au royaume illimité, et au pouvoir inexistant.
Pour le
lecteur hongrois, Krudy est une institution, un univers, une
bibliothèque individuelle. Krudy est infiniment vaste. Sa production
littéraire fut surhumaine, ses connaissances en gastronomie, sur les
petites auberges, sur le fonctionnement de l'âme humaine étaient
inépuisables, sa vie fut, elle aussi, très intense, riche d'aventures et
de légendes ; dans son enfance - selon ses dires -, il faillit mourir
noyé sous la glace qui venait de rompre, et fut sauvé par un peintre en
céramique ; après cela, il se crut invincible.
Il remporta plusieurs
duels, et avouera, plus tard, qu'en réalité il ne savait pas se battre.
Il vécut cinquante-cinq années, de 1878 à 1933, et fut peut-être
l'écrivain hongrois le plus productif ; c'est pourtant criblé de dettes,
pourchassé par ses créanciers, qu'il mourut un matin radieux de mai.
Laszto Darvasi.